Blog : Impact de la COVID-19 sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle en Afrique de l’Ouest et du Centre

Contributeurs : Caroline Makamto Sobgui; Hippolyte Affognon; Ousmane Ndoye; Fidélia Bohissou; Abdulai Jalloh; David Akana

La pandémie due à la COVID-19 continue de progresser en Afrique de l’Ouest et Centrale, une région déjà connue pour ses difficultés endémiques en matière de sécurité alimentaire et nutritionnelle. En effet, malgré quelques améliorations, l’insécurité alimentaire et nutritionnelle avec comme corollaire la malnutrition sont des défis structurels majeurs auxquels fait face la sous-région Afrique de l’Ouest et du Centre depuis des décennies. La succession de catastrophes naturelles, les conflits et épidémies qui affectent la région ont fragilisé la capacité des populations à pouvoir se procurer des aliments riches, nutritifs et diversifiés pour satisfaire leurs besoins nutritionnels. L’impact de la COVID-19 viendrait, ainsi, s’ajouter à la situation préexistante pour aggraver l’insécurité alimentaire et nutritionnelle dans la région. La progression de la pandémie à la COVID-19 viendrait donc accentuer la dégradation des moyens de subsistance des plus vulnérables par la réduction de la disponibilité et de l’accessibilité à des denrées alimentaires de base.

Quelle est la situation ?

Des prévisions faites avant la survenue de la COVID-19 dans la région estimaient que pendant la période de soudure (Juillet-Août 2020), 21 millions de personnes souffriraient de pénurie alimentaire sévère. Ces prévisions faites avant les premiers cas de COVID-19 dans la région pourraient largement être dépassées. Selon le Programme Alimentaire Mondial des Nations Unies (PAM), la pandémie à la COVID-19 pourrait multiplier par deux voire trois le nombre de personnes en situation de crise et d’urgence alimentaire et nutritionnelle, les faisant passer de 21 millions initialement attendus à près de 59 millions entre juin et août 2020 en Afrique de l’Ouest et du Centre.

La survenue de la pandémie à la COVID-19 et l’ensemble des mesures d’atténuation prises pour ralentir le rythme des infections dans la sous-région pourraient sérieusement impacter la sécurité alimentaire et nutritionnelle des populations.  En effet, la réduction du pouvoir d’achat des ménages et des Etats, l’augmentation du prix des denrées alimentaires, les difficultés d’approvisionnement en denrées alimentaires et les difficultés à mettre en œuvre les programmes de sécurité alimentaire et de nutrition pourraient grandement impacter la sécurité alimentaire et nutritionnelle des ménages de la région.

Marché de tubercules

Réduction du pouvoir d’achat

Environ 50% de la population de l’Afrique de l’Ouest et du Centre vit en dessous du seuil de pauvreté (sur la base des seuils nationaux des pays de la région). Ces populations pauvres et vulnérables se retrouvent majoritairement en zones rurales et dans les bidonvilles des zones urbaines. Elles dépendent en majorité des revenus agricoles, du secteur informel et des revenus gagnés au quotidien pour survivre.  Par conséquent, ces populations sont et seront sérieusement affectées par les restrictions de déplacement et les mises en quarantaine qui affectent l’accès des vendeurs et des consommateurs aux marchés, entraînant des perturbations au niveau de la chaîne d’approvisionnement et perturbant aussi l’accès à la main d’œuvre agricole saisonnière. Les restrictions d’accès au marché affecteront aussi bien, la commercialisation des intrants agricoles nécessaires à la campagne agricole en cours que la vente et l’achat des denrées alimentaires.

Du fait de la promiscuité, la propagation de la maladie sera plus grande dans les villes d’Afrique de l’Ouest et du Centre où 50-90% de la population vivent de l’économie informelle. Ces populations urbaines peu qualifiées, vivant des petits boulots et dont la grande partie des gains quotidiens suffisent souvent à peine à s’offrir le repas journalier et par conséquent ne peuvent épargner seront très affectées par la réduction des activités économiques imputable à la COVID-19. En effet, les chômages techniques, les licenciements de masse et la baisse des revenues particulièrement pour les secteurs directement ou indirectement liés au tourisme et à la restauration contribueront aussi grandement à réduire le pouvoir d’achat des ménages vulnérables et leur capacité à s’approvisionner en denrées alimentaires. A ceci il faut rajouter, que ces populations vivant dans les bidonvilles ont généralement une situation immunitaire compromise par les différentes maladies infectieuses endémiques et la malnutrition, les rendant vulnérables aux maladies infectieuses.

Marché de fruits et légumes

Impact sur les marchés et les prix des denrées alimentaires

Il est important de noter que les restrictions aux déplacements qui ont été imposées et qui aujourd’hui ont été majoritairement levées pour la plupart des pays ne concernaient pas le transport des denrées alimentaires et des produits de première nécessité. Toutefois, les agriculteurs ont eu des difficultés pendant les mois de Mars à Juin 2020 à avoir accès aux différents marchés nationaux et transfrontaliers afin d’écouler leur production. Les difficultés ont surtout été notoire pour les produits hautement périssables que sont les fruits et les produits maraîchers. La période de Mars à Juin correspondant à la période pendant laquelle certains marchés étaient fermés et les mesures de restriction adoptées très strictes. Au Cameroun par exemple, les producteurs de tomate habitués à écouler leur production aussi bien sur le marché local que dans les autres pays de la sous-région se sont retrouvés avec des surplus de production ne pouvant être absorbés par les consommateurs locaux et pour certains laissés à l’abandon dans les champs. En effet, les difficultés à traverser les frontières ont rendu pratiquement impossible l’acheminement des produits maraîchers vers les pays voisins que sont le Gabon, le Congo et la Guinée Équatoriale.

De plus, les transporteurs routiers ont vu une augmentation des tracasseries policières et douanières s’accompagnant du paiement des taxes informelles, augmentant par conséquent les frais de transport des denrées ; lesquelles augmentations seront forcément répercutées sur le prix d’achat des denrées alimentaires chez le consommateur. De plus ces différentes tracasseries ont aussi affecté la durée de transport des denrées depuis les zones portuaires vers les zones de consommation qui se sont allongées entraînant des coûts supplémentaires qui se sont répercutés sur le prix des denrées sur les marchés.

De plus, les différentes mesures de restrictions adoptées sur le plan national et international auront des répercussions sur les couloirs d’approvisionnement en denrées alimentaires importées et par conséquent sur le prix des denrées au niveau des consommateurs. En effet, les pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre ont un déficit de production alimentaire et sont dépendants des importations alimentaires pour pouvoir nourrir leur population. Ceci concerne particulièrement les céréales et en l’occurrence le riz dont la production locale couvre un peu plus de 50% des besoins régionaux. Les restrictions à l’importation et à l’exportation sont de ce fait des préoccupations majeures, car les réductions des exportations, à court terme, du riz sont déjà observées en Afrique Subsaharienne ; les chaînes d’approvisionnement alimentaire locales étant perturbées dans beaucoup de pays du monde. Les fermetures des frontières et les restrictions de déplacement ont impacté sur la capacité des agriculteurs des différents pays exportateurs de pouvoir distribuer leur production aux niveaux national et international. De plus, la probabilité que les pays exportateurs des denrées, tel que le riz (Chine, Vietnam, Cambodge, Inde, Pakistan…), retiennent leur production pour alimenter leur marché domestique est une éventualité plus que certaine du fait de la réduction de leur production ; ce qui pourrait avoir un impact négatif sur l’accès aux denrées alimentaires de première nécessité par les ménages vulnérables.

Élevage de bovins

Selon l’OCDE, le secteur de l’élevage qui représente à peu près 40% du PIB agricole des pays sahéliens n’est pas du tout épargné. Ces systèmes pastoraux fournissent 50% de la production de viande et 70% de la production du lait. Toutefois, les restrictions de déplacement et les fermetures de frontières affectent sérieusement la pratique de l’élevage traditionnel transhumant dans la région. En effet, les transhumances annuelles pour la recherche des pâturages ont débuté au mois de mars, en pleine expansion de la crise sanitaire de la COVID-19. Certains éleveurs qui devraient chercher des pâturages et de l’eau dans les pays frontaliers, sont restés bloqués du fait de la fermeture des frontières terrestres. Ces restrictions impactent non seulement l’accès aux pâturages et à l’alimentation animale, mais également l’accès aux marchés pour la vente du bétail, mais aussi le retour dans les villages d’origine pour ceux qui ont pu se déplacer avant les restrictions de déplacement et les fermetures de frontières. Malgré les accords de transhumance existant entre les pays, les éleveurs ne peuvent traverser les frontières du fait des restrictions liées à la pandémie de la COVID-19. Ce qui fait craindre une hausse des prix de la viande dans les mois à venir.

Par ailleurs, la plupart des économies de la région dépendent de l’exportation des matières premières tels que le pétrole, le cacao, le café, l’or… pour équilibrer leur balance commerciale.  La réduction du prix des matières premières sur les cours internationaux consécutifs à la COVID-19 va entraîner une réduction drastique des revenus des pays de la région et affecter leur capacité à importer les denrées alimentaires. De plus, du fait des restrictions liées aux déplacements des personnes et les fermetures des frontières, les pays dont l’industrie touristique est l’une des principales sources de devises feront face à une réduction de leurs revenus. Ces baisses de revenu arrivent à un moment où on a concomitamment une augmentation des dépenses relatives aux soins de santé et à la mise en place des mesures sociales pour contrecarrer les effets néfastes de la COVID-19 sur les couches pauvres et vulnérables.

Impact sur les programmes d’urgence nutritionnelle

Des programmes d’urgence nutritionnelle contribuant à lutter contre la famine et la malnutrition existaient dans au moins 10 pays de la région bien avant la survenue de la crise de COVID-19. Ces programmes qui visent à prévenir et traiter la malnutrition et la famine chez les femmes et les jeunes enfants, avec la COVID-19, courent le risque de voir leurs budgets réduits ;  ceci étant la conséquence de la réduction des budgets des pays et des organisations donatrices, de la récession de l’économie mondiale et du détournement du peu de ressources disponibles vers les services de santé et de lutte contre la maladie.

En outre, les restrictions de mouvement et les fermetures de frontières entravent la mobilité de l’aide humanitaire et du personnel. De plus, cette situation d’insécurité alimentaire et nutritionnelle aggravera grandement la situation de millions d’enfants en âge scolaire qui du fait de l’arrêt des classes ne bénéficieront plus des repas gratuits et nutritifs quotidiens offerts par les programmes de cantines scolaires en vigueur dans de nombreux pays de la région.

Aquaculture

Mesures générales à prendre pour atténuer l’impact négatif de la COVID-19

Avec la crise de la COVID-19, les pays de la région voient leurs défis en matière de sécurité alimentaire et nutritionnelle s’aggraver. Cette crise offre néanmoins aux pays de la région ainsi qu’aux structures régionales une opportunité de repenser les politiques agricoles et nutritionnelles nationales et régionales pour la mise en place d’un système alimentaire plus résilient afin de résoudre de manière durable les problèmes endémiques de famine et de malnutrition dans la région et mieux se préparer aux crises à venir. En effet, la pandémie à COVID-19, offre l’opportunité de reconstruire des systèmes alimentaires durables, sains et nutritifs qui mettent l’accent sur la disponibilité et l’accessibilité des aliments nutritifs et riches pour tous, tout en améliorant les moyens de subsistance des agriculteurs leur permettant ainsi de se hisser hors de la pauvreté. Pour ce faire, un certain nombre de mesures pourraient être prises à court, moyen et long terme.

A court terme 

  • Combattre les tracasseries policières et douanières qui rendent difficile le fonctionnement des couloirs supposés faciliter la libre circulation des denrées alimentaires et des intrants agricoles.
  • Stimuler l’utilisation d’intrants agricoles de qualité (engrais, semences et produits agrochimiques) grâce à des subventions intelligentes aux agriculteurs.
  • Encourager les pratiques d’agriculture sensible à la nutrition pour améliorer la diversité de l’offre alimentaire.
  • Stimuler l’adoption des variétés prometteuses, nutritives et à haut rendement, résistantes à la sècheresse, à cycle court, et résistantes aux maladies,
  • Adopter des mesures visant à prévenir les hausses des prix des denrées alimentaires.
  • Renforcer les programmes d’urgence nutritionnelle et de sécurité alimentaire pour les zones les plus vulnérables.

A moyen et long terme

  • Réduire la dépendance vis-à-vis des importations alimentaires par la mise en place des programmes de relance du secteur agricole visant à renfoncer tous les acteurs clés de la chaîne alimentaire depuis la production jusqu’à la consommation en passant par la transformation et la conservation.
  • Réduire les pertes post-récoltes en améliorant les pratiques post-récoltes et la conservation des denrées alimentaires.
  • Adopter des approches d’agriculture sensible à la nutrition en mettant l’accent sur des systèmes agricoles qui utilisent la diversité des espèces agricoles existantes comme moyen d’accès à une alimentation plus diversifiée.
  • Revoir les programmes de subventions pour encourager la production d’aliments diversifiés et pas uniquement les cultures de rente et certaines céréales.
  • Promouvoir des méthodes d’agriculture durable et l’utilisation plus efficiente des systèmes d’alertes précoces pour le suivi de la sécurité alimentaire et nutritionnelle.
  • Encourager la diversification des sources de revenus des producteurs agricoles.
  • Adopter des politiques de sécurité sanitaire et de traçabilité des aliments.
  • Promouvoir l’utilisation des technologies digitales dans le conseil agricole.
  • Faciliter l’accès aux crédits et assurances agricoles pour les paysans.

Pour éradiquer de manière durable l’insécurité alimentaire et nutritionnelle en Afrique de l’Ouest et du Centre, il est important que les gouvernements, les structures de recherche, le secteur privé et les agences intergouvernementales, les organisations paysannes et associations de consommateurs travaillent ensemble. Une approche intégrée et multisectorielle permettra d’apporter de l’aide non seulement à ceux affectés par la COVID-19 aujourd’hui, mais à toutes les personnes vulnérables à la malnutrition et la famine et prévenir les crises futures.

La pandémie due à la COVID-19 offre, à tous les acteurs cités plus haut, une belle opportunité de repenser la manière de transformer collectivement la situation de la sécurité alimentaire et nutritionnelle en Afrique de l’Ouest et du Centre. C’est dans ce contexte que les acteurs du CORAF ont développé une stratégie régionale de la nutrition. Ce plan vise à s’assurer que les programmes agricoles actuels et futurs contribuent à l’atteinte du deuxième Objectif de Développement Durable des Nations Unies à savoir « Éliminer la faim, assurer la sécurité alimentaire, améliorer la nutrition et promouvoir l’agriculture durable ». De façon spécifique, il s’agira d’aider les pays membres du CORAF à se doter d’un cadre d’intervention sur les questions de la nutrition et de sécurité alimentaire dans une approche de système alimentaire durable. Ce cadre d’intervention vise à « Améliorer la sécurité alimentaire et nutritionnelle en Afrique de l’Ouest et du Centre, tout en autonomisant les femmes et en favorisant la résilience des plus vulnérables grâce à des systèmes alimentaires durables qui sont les moteurs du développement économique ».

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