Contributions : Yacouba Diallo ; Fidélia Bohissou ; Hippolyte Affognon ; Abdulai Jalloh ; David Akana
Il est de plus en plus évident que la pandémie de la COVID-19 aura un impact négatif sur l’agriculture et la sécurité alimentaire en Afrique de l’Ouest. La pandémie continue de menacer la vie et les moyens de subsistance des citoyens des États membres de la Communauté Economique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et du Comité permanent inter-États de Lutte contre la Sécheresse dans le Sahel (CILSS), la grande majorité d’entre eux étant des agriculteurs ou associés d’une manière ou d’une autre à des chaînes de valeur connexes.
Pour contenir la propagation du virus, les États membres ont adopté plusieurs mesures d’urgence pour s’adapter à la crise de la COVID-19. Ces mesures vont de la fermeture des frontières et des institutions publiques, notamment les écoles, les marchés, les mosquées et les églises etc., à l’isolement des foyers, des communautés et la mise en quarantaine totale des régions et de l’État tout entier. Ces mesures d’atténuation ont entraîné diverses perturbations dans le fonctionnement des marchés et des chaînes d’approvisionnement en intrants et produits agricoles. En conséquence, les producteurs agricoles ont un accès limité au marché pour la distribution des produits ainsi que leur approvisionnement en semences de qualité et autres intrants agricoles.
Au fur et à mesure le virus continuait de se propager avec un nombre croissant de personnes infectées, des mesures plus sévères ont été prises pour lutter contre la pandémie. En conséquence, les systèmes alimentaires aux niveaux local, régional et mondial continueront à être confrontés à de graves problèmes pour leur fonctionnement efficaces. Il est toutefois réconfortant de constater que la coalition mondiale explore divers moyens pour trouver des solutions durables à cette pandémie. Dans l’intervalle, et fort heureusement que plusieurs pays ont commencé ces derniers jours à mettre en œuvre un plan d’ouverture progressive, en levant les mesures de confinement le cas échéant.
Néanmoins, les impacts de la COVID-19 sur le secteur agricole et agroalimentaire restent latents, notamment avec l’incapacité des petites exploitations agricoles à acheminer leurs produits vers les marchés, tant semi-urbains qu’urbains, et à s’approvisionner en intrants de qualité.
À moins que des mesures rapides ne soient prises pour faciliter l’accès des producteurs aux semences et autres intrants, les perturbations causées par la COVID-19 entraîneront inévitablement une diminution de la production agricole en raison de l’indisponibilité des semences de qualité requises pour planter au bon moment.
Quelle est la situation ?
L’Afrique de l’Ouest est un importateur net de denrées alimentaires, notamment de riz (la région étant le plus grand importateur en Afrique), de blé et aussi de semences maraîchères. L’impact de la COVID-19 sur les pays d’où notre région importe, affectera certainement l’approvisionnement en denrées alimentaires et en semences sur le marché mondial et pourrait conduire à une crise alimentaire telle que celle de 2008, qui a provoqué une instabilité politique et économique et des troubles sociaux dans la région.
Déjà pour les semences horticoles, les Pays-Bas, qui sont le premier exportateur mondial, suivis par les États-Unis, la France et l’Allemagne, enregistrent une augmentation des ventes intérieures de semences de légumes et de fleurs, qui montent en flèche. Avec les mesures de confinement, de plus en plus de personnes cultivent une partie de leur nourriture. Cette situation aura un impact sur le volume des produits qui pourraient être expédiés vers d’autres régions, car il est plus probable qu’elles satisferont d’abord leurs propres besoins.
Les semences sont le point de départ de la production agricole, c’est pourquoi en temps de crise comme la pandémie de la COVID-19, la livraison des semences devrait faire partie des services essentiels qui doivent continuer à fonctionner pour soutenir le cycle de production actuelle et future. Il est donc crucial que les agriculteurs aient accès aux intrants agricoles en temps utile. Une autre question importante liée aux restrictions de mouvement est l’impact sur la disponibilité de la main-d’œuvre migrante dont dépendent de nombreuses communautés et de nombreux pays.
Les mesures adoptées par les pays pour arrêter la propagation du coronavirus doivent donc tenir compte de la spécificité et du rôle stratégique joué par le secteur agricole dans la sécurité alimentaire. Les gouvernements, les communautés économiques régionales (CER) et leurs partenaires devraient prendre des mesures stratégiques, notamment un programme de semences d’urgence pour atténuer l’impact négatif de la crise de la COVID-19.
Mesures générales à prendre pour atténuer l’impact négatif du COVID-19
Avec la COVID-19, le secteur agricole est aujourd’hui confronté à des défis sans précédent qui nécessitent des interventions concertées et spécifiques à chaque pays. Les réponses visant à atténuer son impact sur l’approvisionnement en semences des agriculteurs doivent être immédiates, à court et à moyen terme. Les mesures immédiates visent à garantir la disponibilité des semences pour la saison de culture en cours. La mise à disposition de semences aujourd’hui permettra de fournir de la nourriture pour demain et de protéger la région de l’insécurité alimentaire. Les pays devront être informés de la disponibilité des semences certifiées dans leurs systèmes respectifs et évaluer les écarts entre les besoins et la disponibilité. De même, il est important de faciliter l’accès et la distribution des semences. Pendant cette période difficile où de nombreux pays ont fermé leurs frontières, les semences de pré-base et de base et les semences certifiées ne devraient être soumises à aucune contrainte de production, de distribution et d’utilisation. Plus précisément, les mesures suivantes devraient être prises :
- Faire un inventaire rapide des stocks de semences disponibles tant au niveau communautaire que chez les distributeurs agréés ;
- Effectuer la distribution directe des semences ou l’octroi de Bons de semences pour les agriculteurs vulnérables ;
- Créer des réseaux de solidarité pour la protection sociale et la conservation des stocks de semences au niveau des agriculteurs et éviter de les vendre sur le marché ;
- Mettre en place un système d’information et de veille pour diffuser en permanence la situation de l’offre et la demande de semences ;
- Organiser des mini-bourses et des foires aux semences respectant la distance sociale pour faciliter l’approvisionnement des producteurs en semences ;
- Exempter les opérateurs semenciers et les petits agriculteurs des restrictions de mouvement tout en respectant les mesures de précaution, afin qu’ils puissent effectuer des travaux de terrain et transporter les intrants et les produits ;
- Faciliter le commerce transfrontalier des semences. Ces mesures seront très importantes dans les mois à venir ;
- Comme de nombreux pays mettent en place des filets de sécurité sociale, il est logique de donner la priorité aux acteurs vulnérables du secteur agricole.
Conseils aux producteurs
Pendant des siècles, les agriculteurs ont été les sauveurs des systèmes semenciers pendant les périodes de paix et de crise au cours desquelles ils ont joué un rôle stratégique dans la propagation et la conservation de variétés de semences résistantes. Pour atténuer la crise des systèmes de semences causée par la COVID-19, il est essentiel de garantir un stockage efficace des quantités produites pendant la saison 2019 ainsi que pendant la prochaine saison 2020 afin d’éviter les attaques des ravageurs et de préserver un bon taux de germination. Les actions suivantes pourraient être entreprises par les producteurs :
- Les agriculteurs devraient conserver en toute sécurité les semences déjà disponibles pour la prochaine saison de culture ;
- S’abstenir autant que possible de vendre les semences ou de les consommer ;
- Stimuler les alliances stratégiques qui permettent et renforcent la collaboration entre les groupes en ce qui concerne la fourniture de conditions de stockage appropriées ainsi que les échanges intercommunautaires de semences de qualité ;
- Assurer l’approvisionnement à partir de sources fiables, en particulier les producteurs et les distributeurs agréés ;
- Appliquer des conseils techniques et de bonnes pratiques agricoles pour intensifier la production et améliorer les rendements ;
- Étant donné l’importance du système semencier informel en Afrique de l’Ouest, il est recommandé aux agriculteurs de mettre davantage l’accent sur le tri, le nettoyage et la conservation hermétique des semences conservées par les agriculteurs.
Recommandations et interventions du CORAF
La crise de la COVID-19 offre une occasion importante de repenser le système semencier régional, de procéder à des changements structurels tant dans son mode de fonctionnement que dans le renforcement de sa relance face aux chocs de diverses natures. Le Conseil Ouest et Centre Africain pour la Recherche et le Développement Agricoles (CORAF), en tant qu’acteur majeur du secteur semencier en Afrique de l’Ouest, considère que le défi le plus immédiat à relever dans le système semencier pour atténuer l’impact négatif de la crise de la COVID-19 est d’assurer la disponibilité et l’accès aux différentes classes de semences (pré-base, base et certifiée) des cultures vivrières de base. Les semences devraient être disponibles pour les agriculteurs pendant la pandémie et au-delà. Des actions concertées sont nécessaires à plusieurs niveaux.
Orientation et mise en œuvre des politiques : Le CORAF appelle les décideurs à s’abstenir d’imposer des restrictions à l’exportation/importation de semences, car l’expérience passée montre que les restrictions à l’exportation/importation peuvent entraîner une hausse rapide et injustifiée des prix, au détriment des agriculteurs pauvres en ressources et des économies nationales. À cet égard, le CORAF estime que l’amélioration de la mise en œuvre de politiques régionales harmonisées et de cadres réglementaires pour la production, le contrôle de la qualité et la commercialisation des semences conduiront à un système plus efficace et plus résistant. Le CORAF appelle donc à une intensification des partenariats et des synergies pour apporter une réponse concertée en faveur des systèmes agricoles durables et résistants afin d’éviter les chocs socio-économiques néfastes.
Compte tenu de la perturbation potentielle de la première campagne agricole (juin – août 2020) le long de la côte et dans une partie du Sahel, il est prudent de prendre des dispositions appropriées pour la deuxième campagne agricole (septembre – novembre 2020) afin que les éventuels déficits de la première campagne puissent être comblés au cours de la deuxième campagne, en particulier dans le cas des cultures de courte saison comme les céréales et les légumineuses.
Des dispositions devraient être prises pour une culture efficace des marécages de la vallée intérieure et d’autres agroécologies de basse altitude à cultiver pendant la saison sèche pour la production alimentaire ainsi que des semences pour la saison de culture 2021. À cet égard, les instituts nationaux de recherche agricole pourraient être soutenus pour produire davantage de semences de pré-base au cours de la prochaine saison afin de pouvoir fournir les semences de base nécessaires à la production de semences certifiées pour la saison de culture 2021.
Les agences gouvernementales nationales devraient veiller à ce que la qualité des intrants agricoles, notamment les semences, les engrais et les pesticides, ne soit pas compromise, tout en garantissant une utilisation sûre de ces intrants, en particulier des pesticides.
Mobilisation des plateformes multipartites : Le CORAF poursuivra sa mission en soutenant la mise en place et le fonctionnement de plateformes multipartites aux niveaux sous-régional, national et local pour la gestion concertée des questions liées à la mise à l’échelle des technologies semencières, au partage des expériences techniques et des bonnes pratiques liées à la production, à l’assurance qualité et à la commercialisation des semences de haute qualité. En outre, le CORAF continuera à faciliter le développement des entreprises semencières locales pour la production de variétés adaptées ainsi que des associations nationales du commerce des semences et des organisations régionales de tutelle des entreprises semencières afin qu’elles puissent mieux se positionner et améliorer la compétitivité de la chaîne régionale d’approvisionnement en semences avec davantage de livraisons de semences de qualité de variétés performantes aux producteurs agricoles.
Agripreneur TV du CORAF est en cours de redynamisation pour fournir des prévisions météorologiques quotidiennes ou au moins hebdomadaires, des données de l’offre nationale de semences certifiées disponibles en association avec l’Alliance pour une Industrie Semencière en Afrique de l’Ouest (ASIWA), ainsi que le bilan COVID-19 des pays. Ce média fournira également les retours d’information possible des Etats pour une prise de décision éclairée par les pays et la Commission de la CEDEAO.
Mise à l’échelle des technologies de semences résilientes : Le CORAF continuera à faciliter l’accès des agriculteurs aux semences à haut rendement et résistantes aux agressions biotiques et abiotiques ainsi qu’’autres technologies agricoles modernes qui améliorent la productivité pour couvrir les besoins alimentaires et agriculteurs et qui génèrent des excédents agricoles commercialisables. Le CORAF procède actuellement à des évaluations de la sécurité semencière au niveau national par divers moyens dans le cadre de ses programmes. Les institutions nationales en collaboration avec les acteurs privés diffuseront des ensembles technologiques d’intrants et de bonnes pratiques pour les différentes zones agro-écologiques. Elles établiront des parcelles de démonstration pour la promotion et la diffusion de variétés de semences améliorées ; et elles soutiendront les systèmes nationaux de recherche agricole pour établir des systèmes d’information sur les technologies des semences, l’offre et la demande de semences.
En conclusion, la crise de la COVID-19 et son impact sur les systèmes semenciers n’affecteront pas un seul pays. Il s’agit d’un défi régional, voire mondial, qui nécessite une coopération et une coordination appropriées à tous les niveaux. Les pays d’Afrique de l’Ouest devraient combiner leurs efforts pour contenir et arrêter la propagation du virus et prendre des mesures concertées pour atténuer l’impact négatif sur les systèmes semenciers et la sécurité alimentaire par la production et le partage d’informations actualisées, la libre circulation des semences et du matériel de propagation des plantes, et le renforcement des systèmes semenciers pour une plus grande résilience.
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